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Art Press n°413
Texte d’Anaël Pigeal,
2014
Faisant partie de l'identité du salon depuis six ans, la scénographie de Matali Crasset a pour thème cette
année « le flux créatif ». Si l'énergie est bien présente, la délimitation des
espaces aurait parfois pu gagner en clarté. Certains artistes ont toutefois su
s'approprier habilement son geste. C'est le cas notamment d'Eskrokar qui l'a
littéralement intégré à son accrochage (habile, cet artiste l'est assurément, puisqu'il
s'est aussi joué des règles du salon, qui interdisent de se présenter deux fois,
en étant candidat sous pseudonyme après avoir été sélectionné en 2012 sous le
nom de Pavel Cazenove).
Pavel Cazenove
Texte de Nicolas Rosette pour le 57e Salon de Montrouge, 2012
Si le sujet principal de l’obsession de Pavel Cazenove semble être le
corps fantasmé de la femme, c’est-à-dire le « trou » laissé par son absence physique, il est cependant intéressant
de s’attarder sur l’origine de sa matière artistique, c’est-à-dire la provenance des corps
présents dans ses oeuvres. Par de nombreux aspects, l’artiste actualise
ses classiques (Sade, Courbet, mais aussi Warhol) en les réinterprétant
avec les outils d’aujourd’hui. La minutie et la constance
obsessionnelle du travail confirment le fétichisme de l’artiste à
l’égard de ses maîtres et de ses sujets.
Les modèles de Pavel Cazenove sont souvent des mannequins ou des actrices
de porno dont il déniche les images sur
Internet. Lieu central des nouvelles représentations du corps (des photos personnelles
aux sites pornographiques), le Web
est aussi le carrefour des fantasmes contemporains et le sexe y tient
une place importante, voire incontournable :
la capacité toujours croissante de transfert et stockage de données serait
intimement liée à la consommation massive de vidéos et d’images
produite par l’industrie du « pOrn ».
C’est donc naturellement là que l’artiste va puiser sa matière à
désir, ses pin-up courbésiennes, ses playmates
sadiennes et inaccessibles, enfermées de l’autre côté de
l’écran.
Dans un désir de contrôle, de soumettre ces
armées d’icônes pop intouchables emballées de cellophane numérique, Pavel Cazenove les extirpe hors de l’écran, les incarne dans des
mises en scène malicieuses, délictueuses et pénétrantes. L’œuvre Bend
Over, collection de 500 pin-ups toutes fesses dehors, punaisées à
l’endroit du sexe, résume à elle seule les surfs solitaires sur la mer de
la frustration des internautes amateurs de porno qui « collectionnent »
les « conquêtes » à la force du poignet, avant de les ranger dans leur disque
dur, ou de les punaiser dans la liste des favoris de leur navigateur.
Dans un acte de sublimation et avec une pincée d’humour, il procède à
l’identique avec Boobs, tirage photo astucieux où
l’adjonction de résine fait littéralement ressortir de l’image le
volume de l’opulente poitrine nue du modèle.
En parallèle d’une célébration fun et pop du corps pornographique
contemporain, l’artiste explore la face obscure du fétichisme et du désir
d’appropriation de ces corps-images. La série Copycat évoque la
morbidité du trophée arraché au corps
d’un(e) autre, ici incarnée par la découpe d’un fragment
d’une photo d’un corps nu et plongé dans un bocal rempli de
fixateur. Un pendant meurtrier à la collection d’images qu’est la
liste des victimes du tueur en série ; un renvoi à la figure de l’ogre de
la mythologie moderne.
Pavel Cazenove exhibe des corps et des sexes a
priori indécents mais qui constituent pourtant les référents des canons contemporains. Il s’approprie ces corps en les arrachant à leur virtualité
et nous redonne une emprise sur eux, nous libérant de notre impuissance face à
l’image.
Pornographies
Texte de Jean-Noël Basmin,
2011
À partir de 2005, parallèlement à son travail d’écriture
scénaristique et universitaire qui s’intéresse de près à l’image pornographique (thèse 2005-2008), Pavel
Cazenove place sa démarche de plasticien sous l’influence directe –
charnelle et conceptuelle – de cette image, à la fois image du désir et désir d’image. L’ensemble de ses recherches plastiques
et théoriques se rejoint en une seule et même obsession : faire apparaître
dans la « chair » de l’image, picturalement, ce désir
qu’elle prétend mettre en scène iconiquement.
Ce « travail » du désir tel qu’il intervient aussi
bien sur les formes que sur les contenus d’une œuvre, Barthes parle
à son sujet de « pornographie », dans son sens le plus vrai,
c’est-à-dire une écriture – graphie – du désir qui ne consiste pas en une simple
représentation (une femme nue par exemple), mais à produire par cette écriture
– et en elle – ce désir
au cœur duquel l’artiste veut nous faire plonger.
Rassembler ce travail sous ce titre générique de
« pornographies » marque une volonté de l’artiste de
s’écarter des simples contenus à caractère érotique qui nourrissent son
travail (notamment les images qu’il s’approprie) ou plus
exactement, de ne jamais les envisager en dehors de leur prise en charge par un
médium artistique (photographie, livre, image numérique, puzzle, gravure,
etc.) ou, à l’inverse, la prise en charge de ce médium par l’éros
dont il est porteur.
Cette « porno-graphie » telle
qu’elle s’applique aux œuvres de Pavel Cazenove ne concerne
donc pas une simple intensification de ce qu’on désigne couramment sous
le label « érotisme », intensification dans ce qu’il nous
serait donné à voir des situations d’ordre sexuel. Cette « porno-graphie » s’attache à multiplier les liens
intimes qui unissent en une seule chair ce qui a trait à l’éros, au sexe,
au corps désiré (pornê = la prostituée) et ce qui a trait à l’écriture
(graphein =
écrire).
Une œuvre authentiquement pornographique, c’est
l’éros pris dans les mailles de la création ou plus exactement dans ce
que chaque art a de spécifique ; c’est lorsque l’éros prend
les commandes de ce qui, dans un art, lui est irréductible. Toute œuvre
pornographique est donc forcément « moderniste », dans le sens très
précis où l’entend Clément Greenberg (cf. Art et Culture), c’est-à-dire que ce désir qui la nourrit,
ces pulsions qui l’excitent, ces fantasmes qui la dirigent…
s’interdisent de dépendre de toute forme d’expérience qui ne soit
pas étroitement circonscrite dans la nature de son médium.
À propos de
quelques « parodies révérencieuses »
Texte de Joy Franklin, 2011
Le mot « parodie » vient du grec parôidia, généralement traduit
par « chanson chantée à côté d’une autre ». Cette étymologie
s’oppose à l’idée commune selon laquelle la parodie consiste à
tourner une œuvre en ridicule, c’est-à-dire d’aller
« contre » elle, le préfixe « para » signifiant aussi bien
« à coté de » que « contre ». Ainsi devons-nous définir la
parodie comme une œuvre seconde à visée non pas moqueuse, mais ludique. En ce sens, elle s’oppose
à la « satire » dont l’objectif est une critique explicitement
moqueuse pouvant aller jusqu’à
nuire à l’œuvre et/ou à l’auteur visé.
La parodie est une œuvre foncièrement transformatrice : travestissement, déformation, détournement…
tout cela est indispensable à son élaboration. Elle est l’adaptation humoristique
d’une œuvre originelle (immédiatement identifiée comme telle) qui
ne l’est pas au départ. Il y a en effet dans la parodie une exigence
d’intention humoristique, cette intention se concrétisant par le
détournement ludique dont
l’œuvre seconde est le lieu. Bien plus qu’une simple dérision,
la parodie constitue, dans le travail de Pavel Cazenove, une sorte d’hommage adressé à un artiste, un
modèle ou au genre pornographique lui-même. D’une manière générale, la
parodie, reposant en partie sur une œuvre originelle, suppose une bonne
connaissance de celle-ci (c’est le cas très clairement des Sadismes littéraires). De même, pour le
spectateur, apprécier la parodie suppose d’avoir connaissance de
l’œuvre parodiée. Ainsi, la parodie séduit-elle avant tout un
public connaisseur de l’œuvre originelle et du genre dans laquelle
elle l’inscrit. Parfois, seuls quelques « adeptes » perçoivent
les décalages plus ou moins subtils
entre les deux créations et c’est de cette altération que peut naître le rire (ou le sourire).
Le problème inhérent à la parodie est qu’on ne peut faire
rire à partir d’une œuvre sans utiliser celle-ci et risquer de la
contrefaire ou de porter atteinte aux droits conférés à son auteur. D’un
point de vue artistique, il est donc nécessaire d’effectuer un apport original permettant au spectateur
de comprendre qu’il est bien en présence d’une parodie.
L’œuvre originelle doit être clairement identifiable, ce que
l’artiste ne manque pas de faire, chaque fois qu’il lui est possible,
en indiquant le nom des photographes parodiés : « d’après une
photographie de […] », le nom du modèle apparaissant quant à lui
dans le titre. Le droit à la parodie est reconnu depuis la Grèce antique.
Aujourd’hui, cette exception au droit d’auteur peut être expliquée
par le droit au rire, un droit d’intérêt général, le bénéfice de tous
prenant ainsi le pas sur l’intérêt individuel.
Les Objets Célestes de Pavel Cazenove
Texte de Yannick Vigouroux, 2014
Dans un esprit de collection et dans la confusion revendiquée du référent, l’artiste
multiple les fragments de peau qu’il associe, dans chaque carte digigraphique, à un prénom féminin.
Le mode opératoire est le suivant : comme s’il utilisait une lunette
astronomique, Cazenove sélectionne des fragments de fesses d’actrices de
films érotiques ou pornographiques dans des blogs, qu’il
recadre et agrandit ensuite à l’aide d’un cache sur Photoshop.
Chaque prénom correspond à celui d’une actrice, et l’on peut
découvrir dans les cartes alignées symétriquement sur le mur un éventail infini
de peaux, allant des plus claires aux plus sombres, parfois tavelées ou
dépigmentés, zébrées de traces rouges ou d’hématomes dus au fouettage
dans les pratiques BDSM, couvertes de faux sperme, de dégoulinures de ketchup, portant
aussi parfois des messages érotiques laconiques tels des tatouages
éphémères…
C’est le paradoxe fructueux de ce travail que donner à voir des
constellations d’ « astres » doucement et sensuellement
incarnés à l’aspect si lisse et parfait, alors qu’en réalité, au
départ, son matériau pornographique est obscène.
L’autre paradoxe audacieux et malicieusement ironique réside dans le
parti pris d’exposer des œuvres aussi charnelles dans le contexte
d’un salon tel que « Réalités nouvelles », dédié à l’art
abstrait.
Montrouge : allez à l’étage !
Texte de Lunettes Rouges, 2012
L’étage sera peut-être interdit aux moins de dix-huit ans car on
débouche en haut de l’escalier face à face avec l’installation
hexagonale de Pavel Cazenove dont l’obsession punaiseuse
ne fait pas dans la subtilité, dirons-nous, mais l’intérieur, garni de
trophées prélevés à même le corps de ces dames, est plus discret, laissant
émerger le « désir à l’œuvre ».